• INTRODUCTION : Le personnage de Lilian Griffith n’est présent que dans quelques chapitres du roman. On la voit principalement dans la première partie (chapitre 5, 7, 16, 17) lorsque le narrateur s’intéresse à Vincent. André Gide écrit dans Le Journal des faux-monnayeurs à la page 82/83 « Le caractère de Lady Griffith est et doit rester comme hors du livre. Elle n’a pas d’existence morale, ni même à vrai dire de personnalité ; c’est là ce qui va gêner Vincent bientôt. Ces deux amants sont faits pour se haïr. »

    Lilian Griffith est l’anagramme de Lilith Griffant qui était la première femme d’Adam chez les juifs. Dans son nom, on retrouve la liane qui procure en nous un sentiment de peur et d’emprisonnement mais aussi le lys qui est un parfum envoûtant. De ce fait, tout pousse à croire que Lilian est un personnage vénéneux et manipulateur.

    On peut alors se demander si ce personnage fait partie de ceux que l’on peut qualifier de faux-monnayeurs. Pour ce faire, nous allons voir que Lady Griffith est un personnage d’initiateur, mais qu’elle est aussi le démon féminin incarné qui a voyager vers l’Enfer.

     

    I/ Gide est un auteur qui expose ses personnages. Il cherche le vrai. Chez Lady Griffith, c’est le caractère d’initiatrice qui est très présent. A travers cela, elle peut apparaître presque trop sincère avec une honnêteté qui irrite. Elle s’exprime bien, telle une mondaine qu’elle n’est d’ailleurs pas réellement, mais ce qu’elle déclare est dit sans contour. De telle sorte que ce qu’elle émet à son interlocuteur ne glisse pas mais, au contraire, le frappe de plein fouet. Dès sa première apparition dans le roman, nous comprenons que la femme à qui nous avons affaire est, malgré des manières délicates (« toucha du bout de ses doigts »), une personne qui n’a pas peur d’être franche. En effet, ses premières paroles sont une sorte de critique à l’égard de Robert de Passavant « Vous commencez à vous dégarnir ». Nous nous rendons compte que nous sommes face à une femme forte qui dit ce qu’elle pense sans grande gène. Un peu plus tard dans le roman, elle fait de même avec Vincent qui cherche à se confier. Elle le coupe et lui demande de se “presser” car Passavant pourrait les interrompre « juste au moment où [il commencerait] à devenir intéressant ». En disant cela elle suggère que ce qu’il exprimait jusque-là ne l’était pas. Nous pouvons enfin constater qu’elle se comporte de la sorte lorsqu’elle est entourée de personnages masculins. C’est une femme qui s’entoure, dans le roman, exclusivement d’hommes. Elle peut donc user de son charme et obtenir ce qu’elle désire.

    Lilian Griffith est donc un personnage avec des qualificatifs sombres mais aussi plus éclatants puisqu’elle fait aussi ressortir le vrai chez chacun.

    Le personnage de Lady Griffith est, tout comme l’œuvre de Gide, fait de tensions. En effet, elle est à la fois capable d’être rude et de donner des ordres mais elle peut être aussi enthousiaste et conseillère. Lilian est une femme qui excelle dans les relations sociales en tout genre, c’est d’ailleurs grâce à cela qu’elle peut se permettre de mener une telle vie, faite d’excès et de loisirs. Elle fait partie de ces personnes qui rendent le quotidien de ceux qu’elle côtoie plus léger, plus facile. Nous voyons que Robert de Passavant ne prend pas « la vie trop au sérieux » près de Lilian Griffith. Elle parvient à s’intéresser suffisamment à l’autre pour le mettre en confiance et lui permettre de s’oublier un peu.

    Elle est aussi capable de transmission lorsqu’elle partage avec Vincent son aventure lors du naufrage. Elle échange énormément et donne des conseils précieux qui serviront à Vincent par la suite. Nous savons que la relation entre Vincent et Lilian est conflictuelle. Elle a connue des hauts et des bas et elle se terminera malheureusement tragiquement. Mais rappelons tout de même que Vincent « connais une confiance extraordinaire » auprès de Lady Griffith. Elle a su faire ressortir le vrai en lui. Elle apporte aussi un certain exotisme puisqu’il se sent « dépaysé » avec elle. Cette femme dégage quelque chose de nouveau, une certaine fraicheur qui plait. Notons enfin que malgré cette attirance pour le démon, Lilian est celle qui voulait rendre les cinq milles francs à Laura : nous comprenons alors qu’elle avait tout de même du bon en elle. C’est donc Vincent qui succombera au diable et à la folie.

     

    II/ Ce personnage peut être considéré comme un faux-monnayeur car elle représente l’hypocrisie même. Elle se sert des autres pour subvenir à ses propres besoins comme par exemple la fortune de Passavant qu’elle utilise d’abord en se prostituant pour lui. Par la suite, elle va utiliser ses relations et la notoriété de ce dernier pour pouvoir arriver à ses fins en rencontrant Vincent Molinier, son nouveau divertissement.

    Si Passavant lui montre de l’affection, elle ne lui porte aucune attention. Dans le 5ème chapitre du roman, elle lui dit qu’il « prend la vie trop au sérieux » et il lui répond en souriant « pas près de vous, je vous assure », puis elle change rapidement de sujet sans y répondre. Quelques pages après, il lui propose de devenir comtesse de Passavant, ce qu’elle refuse la minute suivante et lui dit qu’ils devraient juste rester amis.

    Nous remarquons que c’est une séductrice. Effectivement, elle ne s’entoure que d’hommes riches: Robert de Passavant, qui est muni d’une grande fortune due à sa carrière d’écrivain mais aussi Vincent qui, bien qu’étant très jeune, est destiné à être fortuné lui aussi puisqu’il est médecin. Encore une fois, nous pouvons dire qu’elle se sert des autres par intérêt. A l’inverse, elle est l’opposé, l’image sombre de Laura Vedel car elle représente ce qu’il y a de pire chez une femme. Laura, malgré les erreurs qu’elle a commise, va essayer de se racheter en retournant auprès de son mari alors que Lilian ne va à aucun moment essayer de se racheter, c’est certainement, entre autre, pour cela qu’elle va avoir un destin tragique.

    Lilian n’est pas juste un faux-monnayeur, c’est aussi quelqu’un qui va entraîner d’autres personnages vers le mal.

    Tout d’abord, rappelons que Lilian Griffith est l’anagramme de Lilith Griffant. Elle est connue pour être une femme maléfique, qui séduit les hommes et les détourne du droit chemin. Lilian peut être comparé à cette femme puisqu’elle pousse Vincent vers le jeu (l’addiction plus précisément) d’argent ainsi que la luxure lorsqu’elle l’invite dans sa chambre. De plus, leur couple ne fonctionne pas car ils finissent par se haïr et Vincent plonge dans le péché: il devient le diable lui-même. Lilian l’a influencé dans son devenir comme Lilith l’avait fait avec d’autres hommes avant elle.

    En outre, elle donne une leçon d’individualisme qui est son inspiration personnelle en lui racontant l’épisode du naufrage de la Bourgogne auquel elle a assisté et qui l’a extrêmement marquée en disant à Vincent qu’il ne peut compter que sur lui-même et que s’il avait à choisir entre lui et autrui à quelconque moment de sa vie, il devrait toujours se choisir lui-même. Cette leçon se retournera plus tard contre elle puisque, étant devenue un poids pour lui et n’ayant plus besoin d’elle, Vincent n’hésitera pas à la jeter par-dessus bord lors de leur voyage en Afrique. Elle dit être nécessaire de « couper les mains » d’autrui quelquefois pour sauver sa propre vie, ce qui est assez ironique puisqu’au final, c’est elle qui aura les mains coupées. A la fin, Vincent en a assez de sa présence, et lui enlèvera donc la vie.

    Mais avant d’arriver à cette fâcheuse conclusion, le voyage vers l’enfer a été long.

     Gide fait voyager ses personnages à travers des mondes variés. Avec Lilian, il y a une progression qui tend de plus en plus vers le démon. Au début, elle représente la haute bourgeoisie du XXe siècle: elle vit à Paris et sort beaucoup et connaît beaucoup de monde. Elle incarne une de ces femmes libres qui sont parvenues à s’intégrer au plus haut niveau de la société. Elle nous plonge dans un monde luxueux de divertissement permanent auquel elle appartient. Les diners mondains et les croisières occupent son quotidien. Dans la première partie du roman, elle met tous ses sens en éveil, elle vit pleinement et est entourée de personnes qu’elle semble apprécier. On peut même penser qu’elle aime Vincent. Ainsi, nous pouvons dire qu’à l’origine, Lilian représente la haute bourgeoisie dans tout ce qu’il y a de plus abondant, éclatant et somptueux. Mais malheureusement, la fin de l’histoire ne sera pas si sympathique pour elle.

    Il ne faut pas oublier que dans les faux-monnayeurs, le démon n’est jamais très loin: il est présent et guette les personnages en semblant les attendre.

    Certains parviennent à le maintenir éloigné, mais d’autres succombe. C’est le cas par exemple de Lady Griffith puisqu’elle sombre peu à peu vers un monde de ténèbres. En entament cette croisière avec son ami Vincent sur le yacht du prince, elle entreprend un voyage qui la mènera à sa perte. Tout commence lorsqu’elle prend le parti de « haïr » Vincent. Les bons sentiments semblent loin. Elle mène désormais une passion destructrice avec son amant. Il n’est plus question d’écoute attentive des histoires ou même de gestes affectueux : l’ « animosité » et l’ « irritation » ont pris les devants. Ce voyage en Afrique lui fait quitter tout le luxe auquel elle était habituée jusqu’à présent ; l’Afrique est d’ailleurs un continent notamment perçu comme le lieu de tous les vices à cette époque.

    Une fois ce périple entamé, la folie s’empare de Vincent : c’est alors que le démon gagne et que Lilian sombre. Cette descente tragique vers les plus effroyables pulsions humaines semble avoir eu raison de Lilian. C’est ainsi que ce voyage vers l’enfer s’achève par la mort sinistre de cette femme.

     

    CONCLUSION : Pour conclure, nous pouvons dire que Lilian est un personnage paradoxal puisqu’elle est faite de qualités certaines mais aussi de très sombres défauts. Elle sait être à l’écoute, rendre la vie de certains plus joyeuse, donner de bons conseils et même avoir bon cœur. Malheureusement, ses mauvais côtés prendront le dessus, puisqu’elle ne décide pas de s’entourer de bonnes personnes mais de personnes qui pourraient lui être utile. Elle aime sa vie de luxe et tient à la garder, plutôt que de se racheter. Aussi, elle est associée au diable et est l’opposée de Laura qui est associée à Eve. Lilian ne saura pas réparer ses erreurs et aura une fin tragique.


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