• Attention, il ne s'agit en rien d'un exercice complet ou à recopier bêtement.

     

    Définir les termes du sujet

    La perception: Cette opération consiste à saisir une multiplicité d’éléments dans une unité. C’est un acte plus élaboré qu’une sensation car il se définit par l’organisation d’un champ structuré. Même quand on ne perçoit qu’un objet, c’est toujours sur fond d’un ensemble. Son aspect sensible distingue également la perception de la compréhension d’une idée abstraite (« l’homme », le « cheval »…). Nous percevons toujours des réalités particulières.

    Éduquer: Étymologiquement ce verbe signifie « mener hors de ». L’éducation est donc un processus consistant à faire passer d’un état à un autre en suivant un plan défini. En effet, la conduite implique un but à atteindre. L’éducation demande aussi des règles, et implique la dualité d’un maître qui guide et d’un élève qui est dirigé. Remarquons qu’ici le verbe est à la forme réfléchie, ce qui laisse entendre que la perception pourrait s’éduquer d’elle-même.

    Pouvoir: Dans l’expression « peut-on », le verbe « pouvoir » désigne la possibilité ou la légitimité. Ici, c’est le premier sens qui doit être en priorité étudié.

    ■ Dégager la problématique et construire un plan

    - La problématique: La perception apparaît d’emblée comme un pouvoir naturel. Personne ne nous apprend à l’exercer comme on nous enseigne l’histoire ou les mathématiques. Ajoutons que les animaux en sont également dotés. Cependant, la perception d’un phénomène est susceptible d’être modifiée. Nous pouvons devenir sensible à des nuances qui nous étaient inconnues. Le problème est alors de savoir ce qu’il faut entendre par percevoir. Cet acte est sans doute plus complexe qu’il n’y paraît d’abord.

    - Le plan: La première partie définit la perception en la situant vis-à-vis de la sensation et de la raison. La deuxième définit la notion d’éducation en la confrontant à une philosophie qui fait de la perception notre « lien natal » au monde. Le devoir s’attache enfin à montrer en quel sens une éducation est possible, et même souhaitable.

    Introduction

    La perception se présente comme une activité naturelle, liée à l’usage spontané de nos sens. S’il est vrai que le nourrisson a une perception visuelle très réduite aux premiers temps de son existence, il développe progressivement ses capacités sensorielles au contact du monde extérieur. Autant nous savons qu’il faut apprendre à parler, autant la perception paraît être une faculté innée, que l’homme partage d’ailleurs avec les animaux. Cependant, nous disons aussi qu’il est nécessaire d’apprendre à voir ou à entendre, et plus généralement que les sens s’éduquent. L’expérience montre d’ailleurs que nous pouvons mieux percevoir en devenant plus sensibles à des différences. Si cela est vrai, comment l’expliquer et quelles en sont les conséquences ? La perception serait-elle un acte culturel puisqu’elle semble susceptible d’être transformée ?

    1. Que signifie percevoir ?

    A. Percevoir et parler

    La définition de la perception peut être éclairée par une comparaison avec la parole. L’enfant doit apprendre à composer des discours, c’est-à-dire à acquérir la maîtrise de signes linguistiques au moyen desquels il pourra signifier des idées. Cela requiert du temps afin que la pensée puisse quitter le stade sensible où elle désigne les objets en leur présence. Le signe représente la chose, en la transformant puisque ce n’est plus sa réalité matérielle qui compte mais son idée générale. Ainsi le mot « voiture » est employable alors que la chose n’est pas actuellement visible. Dire : « j’aimerais manger du fromage », c’est former et transmettre une signification qui provient de ma raison et qui s’adresse à celle de mon interlocuteur. Le sens n’est pas sensible, mais intelligible. Le linguiste Roman Jakobson l’indique en disant que « le sens du mot fromage ne se hume pas ». Et comme l’idée générale du fromage s’exprime par un autre mot lorsque je quitte le français, il est bien nécessaire d’apprendre des termes conventionnels pour pouvoir faire usage d’une langue. Le vocabulaire d’ailleurs ne suffit pas, il faut aussi assimiler les règles d’une syntaxe.

    B. Percevoir et sentir

    La perception ne requiert pas cet usage de l’abstraction. Ce qui est perçu est présent ou donné alors que le mot peut signifier en l’absence de ce qu’il désigne. La perception requiert nos sens. Est-elle pour autant une sensation ? Sa réalité est en fait plus complexe. Une sensation est une donnée ponctuelle, et l’image du point vient spontanément l’illustrer. C’est une impression localisée qui indique que quelque chose nous affecte. Une sensation seule peut être vive, mais elle ne suffit pas à organiser un ensemble à l’intérieur duquel des objets apparaissent, ce qui est justement le propre de la perception. Lorsque nous ouvrons les yeux nous voyons des scènes dans lesquels divers objets se présentent dans une perspective. C’est une expérience qui engage les sens, mais en les unifiant sous une règle qui organise leurs informations et qui permet un jugement. Ainsi, en regardant une rue, nous dirons que telle voiture est plus loin que telle autre. La perception implique donc la dualité d’un sujet percevant et d’une chose perçue, selon des relations plus élaborées que la seule sensation.

    [Transition] Cette première analyse nous permet de situer la perception entre la sensation et l’idée abstraite. Cela a-t-il un rapport avec la notion d’éducation ?

    2. Éducation et perception



    A. La notion d’éducation

    Éduquer signifie « conduire hors de ». On éduque un enfant en lui faisant quitter progressivement sa situation première. L’éducation implique donc des règles et des étapes. L’enfant est pris en charge de diverses façons. Kant parle ainsi des soins par lesquels les parents le protègent des dangers dont il n’a pas conscience, de la discipline qui sert à corriger ses penchants brutaux, et de l’instruction que des maîtres lui dispensent. Ce processus complexe a pour but d’amener l’éduqué vers un état d’autonomie. L’éducation est donc la mise en œuvre dirigée des capacités de quelqu’un afin de le faire actualiser ses potentialités. Elle s’enracine dans la conviction que ce qui est doit être amélioré, et qu’il peut l’être si on le guide. Cette logique convient-elle à la perception ?

    B. Le lien natal

    À première vue, il ne le semble pas. La philosophie de Merleau-Ponty voit dans la perception l’acte qui atteste de notre « lien natal » avec le monde. Les idées abstraites et générales sont des élaborations utiles, mais qui ne rendent pas compte de notre situation originaire. Avant d’être un être de raison et de réflexion, l’homme est une conscience percevante, c’est-à-dire incarnée. Merleau-Ponty insiste sur ce point. L’accès au réel demande que l’on inclue le fait d’avoir un corps. Nous ne sommes pas de purs esprits. Or la perception est justement l’acte qui unit indissociablement les dimensions sensible (puisqu’elle est toujours celle d’au moins un de nos sens) et intelligible (car elle confère une signification à ce qui est perçu). Comprendre la nature de la perception, c’est découvrir que nous sommes « jetés » dans le monde, et en même temps que nous « projetons » ce monde à partir de notre présence dans l’espace. Merleau-Ponty emploie volontiers les métaphores du tissu ou de la chair. Nous existons à l’intérieur d’un système concret de relations qui nous préexistent et dont nous ne pouvons nous isoler que par abstraction, en substituant des représentations du monde au monde lui-même. En même temps, nous ne sommes pas des objets car nous organisons le monde à partir de notre point de vue. Toutes les perceptions se recoupent en restant uniques. Cela est vrai également de l’animal. Il est inséré dans le monde tout en étant un centre à partir duquel son environnement prend un sens. Sa conduite témoigne du fait qu’il donne une valeur positive ou négative à ce qu’il perçoit.

    [Transition] Cette explicitation de la perception rend improbable sa compatibilité avec l’éducation. Elle semble n’en avoir aucun besoin. Pourquoi dire alors que l’on peut, et même que l’on doit, apprendre à percevoir ?

    3. L’éducation de la perception

    A. Perception et abstraction

    Cette analyse nous incite à croire que la perception n’est pas à éduquer, c’est-à-dire à transformer, mais bien plutôt à retrouver en deçà de nos habitudes. Notre approche du monde est toujours trop intellectuelle, nous parlons sur les choses au lieu de se servir du langage pour exprimer le sens de l’expérience perceptive. Merleau-Ponty écrit ainsi que « le réel est à décrire, non à construire ou à constituer ». Pourtant toute idée d’éducation n’est pas exclue. Bergson montre dans La Pensée et le Mouvant, que la perception est souvent une opération utilitaire : « Auxiliaire de l’action, elle isole dans l’ensemble de la réalité ce qui nous intéresse ; elle nous montre moins les choses que le parti que nous pouvons en tirer. » Cette démarche n’est pas accidentelle. Les exigences de la vie nous déterminent à agir sur le monde avant de songer à le contempler et à dégager le sens de notre présence. Dès lors, la perception est insensiblement conduite à généraliser. Nous ne nous intéressons plus à la particularité de ce que nous voyons, nous ne retenons que les ressemblances entre les situations. Ce n’est pas cette voiture que nous percevons, mais un danger à éviter si, par exemple, nous devons traverser. Les objets ne sont plus vus pour eux-mêmes, mais en fonction de nos besoins du moment, qu’il s’agisse d’en faire usage ou de les éviter.

    B. L’ambiguïté de la perception

    Dès lors, l’idée d’éducation reçoit un sens légitime en tant qu’elle permet un « élargissement de la perception ». Bergson donne une grande importance à l’art, car il estime que les artistes ont cette chance de percevoir le réel sans les limitations imposées par le point de vue utilitaire. Leur approche est donc plus vaste et plus riche, ils sont sensibles aux beautés, aux nuances, aux différences qui constituent la trame du réel ou de la vie psychologique, et sont capables de les présenter dans leurs productions. Un poète, un cinéaste, un musicien font voir ou entendre ce que nous ressentons sans être capable de le manifester d’emblée par nous-mêmes. Percevoir un chef-d’œuvre permet de vivifier notre propre perception, de la ranimer en nous faisant ressentir ce que nous savions, mais n’avions pas l’habitude de considérer. L’œuvre d’art est donc un moyen d’éducation. C’est une médiation créée par l’esprit, grâce à laquelle celui-ci prend conscience de la richesse de sa nature perceptive.

    Il s’ensuit que la perception est une opération plus complexe qu’il n’y paraît. Elle semble être intégralement naturelle, mais nous découvrons en elle un rapport étroit à la culture. Chez l’animal, elle ne dépasse pas le stade des besoins primaires. Mais elle reçoit chez l’homme une dimension spirituelle. Dès lors, nous pouvons dire que la perception humaine est exemplaire de l’impossibilité de séparer dans l’homme le naturel du culturel, et que l’éduquer devient un devoir puisque cela permet d’élargir notre esprit.

     

    Conclusion: La perception apparaît d’abord comme une opération naturelle qui n’exige aucun apprentissage. Son approfondissement philosophique nous a conduit à dire qu’elle dévoile notre relation première au monde et qu’il s’agit de la décrire sans chercher à la transformer. Cependant, cette relation est d’entrée de jeu investie par des habitudes utilitaires. Dès lors nous soutenons que la perception s’éduque, non par elle-même, mais par la médiation d’œuvres comme celles de l’art. L’enjeu est important car il s’agit pour l’esprit de ne pas être entièrement conditionné par les nécessités liées aux besoins.

     


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