• Attention, il ne s'agit en rien d'un exercice complet ou à recopier bêtement.

     

    Introduction: L’imagination est souvent perçue comme néfaste. Il y a toute une tradition dévalorisante à propos de l’imagination. Ainsi le philosophe Malebranche l’appelle « la folle du logis ». Et il est vrai que tel peut être le cas, car l’imagination est une faculté qui nous porte parfois aux excès et à l’irréel. L’imagination peut nous amener dans l’univers de la rêverie stérile. Mais aussi on a perçu l’imagination comme une sensation appauvrie ou amoindrie. Avec le romantisme, cependant on a une réestimation de l’imagination avec bon nombre d’artistes qui font l’éloge de son pouvoir créatif.

    L’imagination, comme on le voit par cette double tradition a un double aspect; c’est une notion ambivalente. l’imagination est à la fois reproductrice et créatrice.
    L’imagination reproductrice, c’est la fonction par laquelle la conscience perçoit en image un objet sensible absent ou se rappelle les éléments du passé sans les rapporter au passé (car, sinon ce serait simplement de la mémoire). Par exemple, je ferme les  yeux en regardant une maison juste avant, et je produit en mon esprit une image de la maison.

    L’imagination est d’abord la faculté de produire des images. Kant dans la Critique de la Raison Pure définit ainsi l’imagination reproductrice : « L’imagination est le pouvoir de se représenter dans l’intuition un objet même en son absence ». On voit bien une illustration de cette définition avec l’amoureux qui se rappelle en imagination le visage de sa bien-aimée.
    Mais l’imagination est aussi créatrice. L’imagination créatrice, c’est la faculté par laquelle l’esprit forme des synthèses originales par combinaison des images provenant de l’expérience sensible. C’est une faculté de composition. Par exemple, l’amoureux, non seulement se rappelle le visage de sa bien-aimée, mais il s’invente des scénarios en images avant de la retrouver.

    L’imagination s’inspire de la réalité, mais parfois ne se détache pas t-elle trop de la réalité?

    Première Partie: Imaginer, c'est parfois nier le réel

    Premier argument : L’imagination nie en partie le réel, car l’imagination reproductrice est moins performante que la perception.

    Les images formées en imagination ne sont jamais tout à fait exactes. Elles déforment le réel, sont floues. On voit bien cela avec le cas du Panthéon narré par Alain. Pour montrer que les images de l’imagination ne sont pas fidèles à la réalité, Alain dit que si on demande à quelqu’un d’imaginer le Panthéon après l’avoir vu, cela est possible. Mais si ensuite, on demande combien de colonnes à ce Panthéon dans l’image produite en esprit, cela est impossible. On ne peut compter les colonnes dans l’image produite en imagination. On a une vision générale du Panthéon en image, mais pas une image précise. les bornes de l’imagination paraissent ainsi au premier abord fort courtes et forts étroites.

    C’est ce que montre également Descartes dans les Méditations Métaphysiques, dans la méditation 6 avec le cas du chiliogone. Descartes nous dit que l’on peut concevoir un chiliogone (figure  géométrique à mille côtés), on peut le penser, avoir à l’esprit le concept d’une telle figure, mais par contre, on ne peut imaginer avec exactitude un chiliogone. On va produire une image en imagination d’une figure avec plein de côtés, mais sans doute pas avec les mille côtés requis. Aussi Descartes dit qu’il y a une fécondité de l’entendement et une pauvreté radicale de l’imagination, elle n’est pas capable de reproduire le réel avec exactitude, elle le nie en partie.

    Pourquoi l’imagination est-elle si inexacte dans sa production d’images en esprit ? Descartes donne l’explication suivante . Selon Descartes, dans l’intellection , l’esprit ne se sert que de lui-même; au lieu que dans l’imagination, l’esprit contemple quelque forme corporelle (car qui dit imagination, dit image) . L’imagination est donc un mixte de corps et d’esprit.
    L’imagination comme le souligne Descartes n’est pas pure comme le perception (qui ne fait pratiquement intervenir que le corps), ou l’Idée (qui ne fait pratiquement intervenir que l’esprit) . Et comme l’imagination n’est pas pure, au sens de « sans mélange », elle est floue dans les images qu’elle nous fournit,  elle n’est pas exactement fidèle à la réalité.

    Deuxième argument : L’imagination nie le réel, et d’ailleurs, la folie vient en général d’un excès d’imagination.

    Comme l’a remarqué Freud; l’imagination laisse libre cours au principe de plaisir. Ainsi par exemple, un amoureux imagine sa bien-aimée lui dire des mots agréables, alors que cet amour n’est pas réciproque. Dans la vie réelle, il faut renoncer à un certain nombre de ces instincts (principe de plaisir). L’imagination a tendance à satisfaire le principe de plaisir au détriment du principe de réalité. la folie est ce laisser-aller vers le principe de plaisir.

    La folie se traduit toujours par une imagination débridée. Par exemple, dans la paranoïa (délire de persécution), le paranoïaque imagine que tout le monde lui en veut ou se moque de lui. Dans la mythomanie, un individu raconte des mensonges en permanence, en général, pour satisfaire son ego.
    On voit bien un délire mythomaniaque dans le Don Quichotte de Cervantès. Don Quichotte prend les moulins à vent pour des géants; quand il voit des prostituées dans une taverne, il s’imagine et croit que ce sont de belles princesses retenues par un méchant seigneur. Don Quichotte se prend lui-même pour un chevalier, car il a trop lu de romans de chevalerie; mais ses délires hallucinatoires sont le produit d’une imagination qui échappe en grande partie au principe de réalité.

    Transition:  On le voit donc l’imagination nie parfois le réel, c’est une faculté qui peut être redoutable et dangereuse. C’est pourquoi Pascal dans les Pensées la qualifie de « maîtresse d’erreurs et de fausseté, d’autant plus qu’elle ne l’est pas toujours ». Ce que regrette Pascal, c’est que souvent la raison est faible face à la puissance évocatrice de l’imagination; puissance évocatrice qui lui vient des images qui s’imposent par intermittence à l’esprit : « La raison a beau crier, elle ne peut mettre le prix aux choses ». Pour illustrer ceci, Pascal prend l‘exemple du philosophe suspendu dans le vide sur une planche, ce dernier a beau savoir qu’il ne risque pas de tomber, il s’imagine, se voit tourbillonner dans les airs.
    De même , Pascal regrette que l’imagination ait une telle importance en ce qui concerne le prestige social. Ainsi le magistrat tire le respect de son apparence avec son manteau rouge avec hermine. Mais rajoute Pascal, supposons maintenant que ce magistrat arrive mal rasé, mal attifé, et il perdrait instantanément la majeure partie de son pouvoir. C’est pourquoi dira aussi Pascal, les docteurs de son époque (XVIIème siècle) , pour masquer leur ignorance et faire impression sur la masse des gens revêtent des bonnets carrés et des robes amples en quatre parties : « L’imagination dispose de tout, elle fait la Beauté, la Justice, et le Bonheur qui est le Tout du monde ». Avec l’imagination, l’homme est impressionnable, il peut croire que l’apparence correspond forcément à l’être.
    L’imagination donne une perception erronée de la réalité. L’imagination grossit les faits ou les amoindrit injustement : « L’imagination grossit les petits objets jusqu’à en remplir notre âme par une estimation fantastique, et par une insolence téméraire, elle amoindrit les grands jusqu’à sa mesure comme en parlant de Dieu ».

    Mais le plus grave, comme souligné précédemment, c’est que l’imagination a tendance à nous faire vivre dans le paraître. On imagine l’effet qu’on a sur les autres, on se bâtit un être imaginaire tout en négligeant le véritable : « Nous voulons vivre dans l’idée des autres d’une vie imaginaire, et nous nous efforçons pour cela de paraître. Nous travaillons incessamment à embellir et conserver notre être imaginaire et négligeons le véritable ». Que de fois, par exemple, ne voit-on des individus « frimer » avec une grosse voiture, en mettant la musique très fort, comme si l’essentiel était là. Tout cela n’est que du paraître, la volonté de s’afficher ostensiblement est la marque d’une pauvreté spirituelle ou d’un narcissisme outrancier, ce qui finit toujours par une certaine futilité. L’imagination, on le voit, est donc problématique, elle nous éloigne parfois du réel, cependant elle est aussi créative, inventive.

    Deuxième Partie: L’imagination, par son inventivité ne nie pas la réalité

    Par l’imagination créatrice, l’homme est capable de produire des choses nouvelles. l’imagination, on va le voir, est la condition de la possibilité de la nouveauté.

    Premier argument : L’imagination créatrice se sert uniquement du réel pour base de son inventivité, donc ne nie pas le réel.

    L’imagination se sert uniquement des informations fournies par les sens externes et internes. L’imagination créatrice serait un pouvoir illimité de mêler, de composer, séparer ces informations dans toutes les variétés de la fiction et de la rêverie. Ainsi Anatole France donne l’exemple de la nymphe : « Le poète a inventé la nymphe, mais la nature avait déjà produit l’océan, le nuage et la femme ». De même, une sirène n’existe pas concrètement, c’est un produit de l’imagination humaine, mais la femme et le poisson existent réellement. Ou encore, prenons l’exemple d’un griffon, c’est encore un être imaginaire, mais il est composé d’éléments concrets (aigle, lion). L’imaginaire serait donc quelque part second par rapport au réel; car tous les produits de l’imagination, aussi fantaisistes soient-ils sont constitués à partir de lambeaux de réalité.

    Deuxième argument : L’imagination  ne nie pas le réel puisqu’elle permet d’investir le réel.

    Par exemple, si certains hommes ne s’étaient pas imaginés voler dans les airs comme des oiseaux, l’aviation n’aurait jamais existé. C’est pourquoi Baudelaire appelait l’imagination : « la reine des facultés« . Ainsi disait-il un guerrier sans imagination peut être un bon soldat, mais il ne fera pas de conquêtes stratégiques. Un savant ne trouvera pas sans l’imagination, les hypothèses qui lui permettront de fonder une nouvelle théorie. L’artiste, sans imagination, ne produira pas d’œuvre de génie. Aussi Baudelaire rajoute : « L’imagination est la reine du vrai ». Il n’y a pas de créativité, en effet, sans imagination, pas de génie dans quelque domaine que ce soit.

    Mais selon que l’imagination soit accompagnée de plus ou moins de raison; les productions de l’esprit vont différer. Ainsi le philosophe français La Mettrie remarquait que si l’imagination n’est pas assez bridée par la raison, elle donne des orateurs, des musiciens, des peintres, des poètes. Mais si l’imagination se bride elle-même, ne se laisse pas emporter par sa propre impétuosité, elle produit le philosophe. Par contre, si l’imagination n’est pas accompagnée de  suffisamment de raison, cela fait seulement des enthousiastes.
    L’imagination est une faculté très vive, comme dit La Mettrie, on pourrait la comparer à un oiseau toujours prêt à s’envoler : « Voyez cet oiseau sur une branche, il semble toujours prêt à s’envoler, l’imagination est de même ». L’imagination est sans doute d’ailleurs liée à la sensibilité; sans sensibilité, émotivité, on est moins imaginatif.

     

    Conclusion:  L’imagination n’est donc pas une négation de la réalité, et elle peut être une alliée de la raison. L’imagination est nécessaire à l’intelligence, et le génie n’existe pas sans elle. Mais une imagination qui n’est pas bridée peut mener à la folie. Mais sans imagination aucune, l’homme sombrerait dans une idiotie pathologique. L’imagination est la faculté qui permet d’envisager l’avenir, qui permet d’améliorer le confort de l’homme par des inventions. Comme le disait encore Joubert, « L’imagination est l’œil de l’âme », par son inventivité, elle a fait accéder l’humanité à la modernité.

     


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique