• Le Sahara est, dans le contexte de la mondialisation, un espace au cœur d'enjeux majeurs. Sa situation et ses ressources en font un espace soumis à des tensions et conflits multiples.

    En l'espace d'une décennie, le Sahara a connu d'amples changements qui invitent à prendre plus de distance avec sa mystification première: l'hospitalité légendaire des hommes bleus du désert contraste avec la menace terroriste de ces territoires ; mythes hérités de l'époque coloniale ( orientalisme, le père de Foucault, le Paris-Dakar ) ou véhiculés et entretenus par les discours médiatiques feraient du Sahara un espace qui échapperait à toute forme d'organisation spatiale. Au contraire logiques territoriales bien identifiables et formes spatiales structurantes apparaissent à différentes échelles.

    Quels sont les enjeux économiques et géopolitiques de l'ensemble saharien ? Dans quelles mesures les convoitises, tensions et dynamiques qui touchent l'espace saharien sont significatives de son insertion dans la mondialisation ? Quelle organisation de l'espace saharien se dégage de ces convoitises et conflits ?         ( croquis )

     

    I/ Un espace de fortes contraintes mais disposant de ressources

    A) Un espace fantasmé loin des réalités

    Sabrâ – Al Sahra en arabe désert steppe et la couleur fauve d'une racine ( sahira ). Dans l'imaginaire désert: sables, dunes, erg, or, en réalité le Sahara est avant tout un désert de pierre -erg-.

    Dimension symbolique très forte: Désert est avant tout une dimension climatique, pluviométrique et végétale et humaine: lieu inoccupé par l'homme, régions de précipitations très faibles, inférieures à l'évaporation potentielle et sans écoulement superficiel permanent; Sahara est un désert tropical et subtropical à très fortes chaleur estivale et sans hiver notable mais avec une A.T. D. importante; aridité car bilan hybride déficitaire; du point de vue biogéographique, milieu abiotique c'est à dire avec formes végétales et animales adaptées et contractées ( faibles densités des organismes vivants ).

    Sahel: rivage, bordure méridionale caractérisée par une steppe buissonnante plus ou moins piquetée d'arbres épineux ( acacias ) avec graminées pérennes. Traditionnellement espace de frictions, d'instabilité, d'incertitude liées à la variabilité des précipitations, à la cohabitation des populations pasteurs et agriculteurs. Au sens restreint, le Sahel désigne la longue bande qui va du Sénégal au Soudan, en lisière du Sahara.

    On retiendra ici le Grand Sahara et la Mer Rouge ( Soudan-Egypte ) à l'Atlantique ( Mauritanie), c'est-à-dire un désert zonal, lié à la présence de hautes pressions tropicales. 8M de km².

    Cet espace concerne une dizaine d’États.

     

    B) Des contraintes:

    Aridité – A. T. D. - tempêtes de sables, érosion éolienne

    Distances: 2000km du nord au sud, 6000km d'est en ouest + enclavement

    Ex du Ténéré qui s'étend sur 1500km du nord au sud et 1200km d'est en ouest; un arbre a été trouvé avec des racines à 40m de profondeur; “désert des déserts” qui nécessitait 60 jours de chapeau et rares points d'eau.

    Ex de la dépression de Borkau au Tchad connue pour son ensoleillement quasi-permanent et région la plus chaude du Sahra avec max 57° sous abri et 45°min la nuit....

    Ex du Tibesti: forteresse inexpugnable des Toubous au sud de la Libye qui ont toujours résisté aux méharistes français comme aux troupes libyennes.

    Des États plus ou moins forts: au nord, globalement des États forts qui connaissent des dynamiques des “Printemps arabes” en ours; au sud, États incertains avec une plus faible emprise administrative.

    Diversité du peuplement: d'une manière schématique, au nord, population arabes d'éleveurs nomades ( Touaregs, Maures, Toubous ) et au sud, populations noires sédentaires. Par ex au Soudan, environ 5000 peuplades réparties en une cinquantaine de tribus et/ou d'ethnies. Mais cet espace connaît surtout une croissance démographique sans précédent passant de 2m d'habitants en 1966 à plus de 10m actuellement.

     

    C) Des ressources abondantes mais difficiles accès:

    - Un savoir spatial sophistiqué des populations: Grand flux traditionnels trans-sahariens: Oualata, au sud de la Mauritanie était au Xième un carrefour commercial où se croisaient des caravanes chargées d'or, d'ébène, d'ivoire de l'actuel Soudan vers le Maghreb.

    Imaginaire et culture :  “un taxi pour Tobrouk”, “Fort Saganne”, “Le désert” de Pierre Loti, “Désert” de J.M de Clézio, “Terre des Hommes” de Saint Saint-Exupéry “Méharées” de Théodire Monod, etc.

    Connaissance de routes, des puits, des caches, des abris disponibles dans de vastes espaces “vides”; les nomades qui traditionnellement traversaient le Sahara pour le commerce de sel, de dattes sont ainsi devenus guides -chamliers pour les trekkeurs et méharées dans les années 80 ( rôle de Point Afrique dans la diffusion d'une forme de tourisme et randonnées et d'aventure dans cet espace avec des étapes mythiques comme le Ténéré, Tombouctou, le Tassili des Ajers, le désert blanc égyptien, etc ) et aujourd'hui, ce savoir est le support “logistique” des flux illicites et/ou terroristes.

     

    - Des ressources naturelles: uranium, pétrole, phosphates, etc: le Sahara des rentes

    Ruée vers l'uranium: le Niger est aujourd'hui le 3ème pays producteur au monde derrière Kazakhstan et Canada; le gisement d'Artlit est ainsi exploité par AREVA au Niger.

    Pétrole: 1998 baril à 10$, 14$ en 2008, aujourd'hui autour de 100$; Soudan, Mauritanie avec gisement off-shore de Chinguetti.

     

    -Le concept de “heartland” ?

    Concept mis en avant au début du Xxème siècle par Mackinder à propos de la Sibérie considérée comme un espace majeur à contrôler pour assurer sa puissance et sa domination géostratégique. Sur certains points analogie troublante ( immensité, ressources, difficultés d'accès aux ressources, etc ).

     

    II/ Un ensemble politiquement fractionné

    A) Un découpage frontalier hérité de la colonisation / décolonisation

    Anciens découpages coloniaux: par exemple pour la France, “Soudan”

    Intangibilité de frontières admise comme préalable à la décolonisation .

    Peuplement: opp entre nomades Maures, Touaregs ou Toubous arabes et musulmans et sédentaires noirs chrétiens ou animistes.

    On peut retenir un Sahara nord-africain désenclavé, asphalté et urbanisé et un Sahara sahélien plus isolé, Sahara des oasis.

     

    Des frontières dont la priorité est une ressource: Le Sahara a toujours été un espace de circulation intenses: les caravanes de sel, de dattes, de céréales....avec villes relais comme Ouadane, Chinguetti, Tombouctou qui ont été des grands centres culturels et religieux. Avec la période coloniale, déclin du commerce transsaharien au profit des flux côtiers. Aujourd'hui, la porosité des frontières constitue une opportunité de commercer en profitant des différentes de législation, de monnaies: ex le ladha: à l'origine, lait en poudre subventionné en Algérie et donc interdit d'exportation; mais trafic avec les pays voisins comme le Mali; ce trafic a été érigé en système commercial en s'étendant à la semoule, l'huile, les cigarettes et les pièces automobiles !

     

    B) Des conflits internes:

    Le Sahara politique aux frontières naturellement poreuses, unies, relie et sépare. Il unit car il a toujours été franchi. Espace de transit, il relie le Maghreb à l'Afrique subsaharienne. Il sépare, car les États-nations issus des indépendances relèvent de découpages frontalières et donc territoriaux, bordés par l'intangibilité des frontières.

    L'ensemble sahélo-saharien composé des “pays du champ sahélien” ( Mauritanie, Mali, Niger et Algérie ) est un espace écologiquement homogène et culturellement semblable. Cet ensemble est actuellement marqué par des conflits internes de grande ampleur.

     

    - Le Sahara occidental: Ex colonie espagnole est depuis les années 70 une pomme de discorde entre le Maroc, l'Algérie et la Mauritanie. Région peuplée par les Sahraouis qui, sous le franquisme, s'étaient constitués en mouvement autonomiste le Front Polisario. Au moment de la transition démographique espagnole, le Sahara Occidental est convoité par le Maroc et le Front Polisario poursuit sa lutte contre le royaume chérifien. En 1975, 350 000 Marocains se lancent dans la Manche Verte mais le Front Polisario autoproclame la RASD ( République Arabe Sahraoui Démocratique ) soutenue par l'Algérie. En 1988, 1er plan d'autonomie proposé par l'ONU en vain ; nouveau plan en 2003 sans plus de succès. Aujourd'hui, situation toujours tendue car connexions entre populations sahraouis, les Touaregs et les islamistes d'AQMI.

     

     

    - La rébellion Touaregs au Mali

    Un phénomène ancien: 1ères révoltés remontent à l'époque coloniale ( 1916-1917 ) quand l'aristocratie touarègue se rebelle contre sa puissance coloniale affaiblie par la Grande Guerre; révoltes dans les années 60 au moment des indépendantes avec volonté de séparer le Maghreb de l'Afrique subsaharienne au moment où 1ères découvertes des richesses minières et pétrolières. Puis de nouveau dans les années 90 avec caractère identitaire et développementaliste qui a conduit au Mali à la signature du “Pacte National” en 1992. La révolte engagée en janvier 2012 a un caractère inédit. Revendication claire d’indépendance d'autant que “triangle de l'or noir” à cheval Mauritanie, Algérie, Mali. Total et la compagnie anglais Pétroplus ont ainsi mené les opérations de prospective dans un bassin de 1,5 million de km², considéré par certains comme le nouvel eldorado.

     

    Ces populations ont été à la fois marginalisées par Bamako et instrumentalisées par le régime de Kadhafi avec un fonctionnement culturel basé sur le rapport maîtres/esclaves traditionnel. A la chute du régime libyens en janvier 2012, rempli de nombreux mercenaires Touaregs armés au service de Kadhafi vers le nord du Mali. 3 groupes principaux distincts: Ansar Eddin composé majoritairement de Touaregds qui prône l'instauration d'un état islamique au Mali et s'oppose à toute partition du pays. Ce mouvement s'oppose au Mouvement National de Libération de l'Azawad ( MNLA ). Enfin, il faut citer le Mouvement Unité et Jihad pour l'Afrique de l'Ouest ( MUJAO ). Cette rébellion est marquée par une tribalisation du politique.

    Le 6 avril 2012 auto-proclamation unilatérale de l'indépendance de l'Azawad ( régions de Tombouctou, Gao et Kidal ).

     

    III/ Un espace convoité

    A) Les enjeux sécuritaires

    11 septembre – katibas – Sahelistan – Front de guerre contre le terrorisme

    Après le 11 septembre 2001, les USA s'intéressent de près à cette région du monde jusque là délaissée qui devient un nouveau front de guerre contre le terrorisme international.

    Rôle du F.I.S et G.I.A algériens qui devient le G.S.P.C c'est à dire le Groupe Salafiste pour la Prédication et le Combat et est adoubé par Al-Qaïda en devenant AQMI en 2007. Si ce groupe en compte vraisemblablement que quelques centaines de membres, ils sont très actifs et ont trouvé dans le Sahara un réservoir à otages et un espace de mobilités qui échappent aux services de sécurité internationaux. Ainsi, 4 otages français employés d'AREVA enlevés à Arlit au Niger déplacés dans tout le Sahara depuis décembre 2010; la France est une cible qio symbolise l'Occident, le néo-colonialisme des entreprises mais également loi sur le voile et débat sur la burqa. Ces otages sont une “monnaie d’échangée pour obtenir de Paris le retrait des troupes en Afghanistan, une rançon et à libération de prisonniers.

    AQMI s'adonne dans le Sahara à de lucratives activités criminelles comme prise d'otages-marchandises, trafics de drogue, contrebande de cigarettes,....ce qui génère de sourdes compétitions entre les groupes ethniques locaux. On peut parler d'espaces ethno-territorialisés qui opposent les Maures-Arabes aux groupes Touaregs.

    Le Sahara est ainsi devenu un élément clé de la stratégie US de “Global War on Terror”.

    B) Les enjeux économiques

    - Trafics illicites:

    Drogue, armes, cigarettes. 15% de la drogue mondiale circule dans cet espace saharien.

    Le Maroc alimente ainsi 20% de la consommation mondiale de résine de cannabis et on estime qu'au moins 800 000 Marocains vivent directement ou indirectement de ce commerce. On voit également le cocaïne sud-américaine transiter par le Sahara vers l'Europe ou le Moyen-Orient.

    Les cigarettes de contrebande arrivent par exemple au port de Cotonou ou de Lomé puis traversent le Niger et rejoignent le Libye pour ensuite alimenter les réseaux parallèles en Europe ou dans les Balkans. Ces flux sont contrôlés par des groupes mafieux nigérians, ghanéens. Mais on voit se dessiner une forme de gangstero-djihadisme avec par exemple Mokttar Belmokhtar, un chef de Katiba ( bataillon ) surnommé “Mister Malboro” pour son rôle clé dans le trafic.

     

    - Trafic licite: le pétrole et l'uranium

    Pression sur les ressources naturelles qui permet l'essor des explorations et attisent les convoitises des pays occidentaux et aussi des pays émergents.

    Traditionnellement, EXXON, AREVA mais aussi les entreprises nationales d'Afrique du nord comme la SONATRACH (Algérie ) ou l'ETAP ( Tunisie ). Mais la Chine est devenue un acteur puissant avec des entreprises comme CNPC, SINOPEC, CNOOC. La Chine consomme plus de 9m de barils/an et n'en produit que 3m d'où la nécessité de s'assurer un approvisionnement en finançant de vastes projets comme au Niger: une cinquantaine de puits, 1 raffinerie, 1 oléoduc. Infrastructures contre contrats d'exploitation. Chinafrique remplace localement la Francafrique.

    Projet du Trans Saharien Gas Pipeline: lancé en 2001 ambitieux projet de tubes qui acheminerait les hydrocarbures du Nigeria vers l'Europe via le Niger et l'Algérie sur plus de 3841km; jusqu'ici le coût élevé -/+ de 20 milliards de dollars – et l'instabilité de la région ont ajourné le projet.

    L'uranium: une ressource d'avenir ?

    Malgré Fukushima, le nucléaire est encore une énergie qui suscite la convoitise; actuellement 440 réacteurs en fonctionnement dans le monde et 450 réacteurs sont en projet d'ici 2030 sont plus d'une centaine en Chine. La Chine est ainsi devenu le 2nd partenaire commercial du Niger qui à lui seul assure 50% des besoins en uranium de la France. Rivalités et spéculations.

     

    C) Les enjeux migratoires: le Sahara des circulations

    Toutes les pistes en mènent pas en Europe...décalage entre mythe d'une arrivée massive de migrants vers l'Europe et la réalité.

    Intenses mouvements migratoires entre les “2 rives” du Sahara qui ont fait des oasis des villes-relais comme Tamanrasset. Flux traditionnels en fonction des opportunités économiques et/ou climatiques.

    Selon Y.Lacoste, on peut distinguer 3 frontières:

    • Frontières fermées de l'espace Schengen

    • Frontières externalisées, espace-tampon le long des côtés avec les accords FRONTEX, le groupe 5+5; camps de rétention des migrants.

    • Frontière floue, dématérialisées qui voient transiter les “passagers des sables” venus de loin- Pakistan, Ghana, Cameroun; les villes de Gao ( Mali ), Tamanrasset ( Algérie ) sont devenues des villes-passerelles, avec des quartiers informels, des passeurs.

     

    Conclusion → même cet espace souvent appréhendé comme « vide » est traversé par des dynamiques démographiques, économiques et géopolitiques ; à ce titre, c'est un territoire qui fait face à la mondialisation. A l'échelle continentale, c'est tout le continent africain qui contrairement à ce que René DUMONT prédisait en 1962 n'est pas « mal partie » et s'insère à sa manière dans la mondialisation. Mais les formes d'intégration de l'Afrique au processus de mondialisation prend des formes divers selon les échelles, selon les territoires et l'Afrique doit encore concilier croissance et développement.


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